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Depuis son invention, la photographie fascine l’homme par sa capacité à figer le réel et sa faculté à immortaliser sous toutes leurs facettes l’intégralité de nos vies et de nos environnements.

A Blegny-Mine, cette fascination se concrétise à travers une exposition unique, qui confronte deux visions du monde minier, visions séparées l’une de l’autre par trois décennies de latence.

En Wallonie, au temps de leur splendeur, les charbonnages, comme bon nombre d’autres industries, s’inscrivent dans un tissu urbain ou rural dont ils constituent l’une des mailles importantes. Un décor qui n’est pas sans rappeler le film « Metropolis » (1927) du réalisateur austro-allemand Fritz Lang ou l’œuvre « Fabrik » (1943) du photographe suisse Jak Tuggener.

Ces sites, aussi rébarbatifs soient-ils, sont avant tout des centres de vie et d’activités économiques dans lesquels des milliers de travailleurs s’épuisent à extraire et à traiter le minerai.

Leur fermeture a parfois permis leur réaffectation à de nouvelles activités lorsqu’ils n’ont pas été laissés à l’état persistant de ruines. D’autres, par contre, ont été complètement effacés du paysage et du souvenir collectif.

Cette exposition évoque d’une part la fin de l’activité minière en pays de Liège et, d’autre part, l’état actuel de ces sites industriels par le regard objectif, déroutant parfois, de deux photographes de talent.

Ces photographes s’inscrivent dans une longue tradition de participation à la construction, consciente ou non, d’une mémoire industrielle, qu’elle soit orale, écrite ou artistique.

Pour en rester au seul domaine de la photographie, arrêtons-nous sur les deux seuls photographes officiellement autorisés à photographier les mines souterraines en Wallonie qu’ont été Gustave Marissiaux et Désiré Deleuze.

En plus de vues prises en surface, ces photographes ont pu descendre dans les entrailles de la Terre, chose exceptionnelle, dévoilant au monde de la lumière le rude labeur des mineurs de fond.

Gustave Marissiaux (1872-1929), le « Constantin Meunier de la photographie », a produit une œuvre magistrale de près de 500 clichés consacrésà la houillerie liégeoise et composés à l’aube du XXe siècle. Commandé par le Syndicat des charbonnages liégeois, ce reportage est alors destiné à montrer la bonne tenue des houillères du bassin et les progrès récents réalisés dans les techniques d’exploitation.

Cet ensemble est aujourd’hui conservé au Musée de la Vie Wallonne à Liège.

Le Hennuyer Désiré Deleuze (né en 1921) est le second photographe à avoir pu descendre officiellement au fond. Il a réalisé plusieurs centaines de photographies en passant par tous les bassins houillers belges. Photographe officiel du magazine d’entreprise « Chez nous » de la S.A. des charbonnages de Monceau-Fontaine, il a également collaboré avec les services techniques et commerciaux d’autres mines et avec l’Institut national de l’industrie charbonnière situé à Liège, dont la collection photographique est conservée au CLADIC.

En juste hommage à sa contribution tant artistique que technique, une sélection de ses clichés a été publiée en 1996 aux Editions du Perron sous le titre « Objectif mine », en collaboration avec Alain Forti et Jean Jacques Stassen. Cet ouvrage est toujours disponible.

 

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Mais il ne s’agit pas de prendre des photographies dans les galeries et les tailles comme on les prend en plein jour : de nombreuses difficultés attendent l’artiste. Celles d’ordre pratique (l’accès aux chantiers, le transport du matériel, la luminosité) et celles touchant à la sécurité des travaux et des hommes (à l’époque, l’utilisation d’un flash en présence de grisou ou de poussières peut tout enflammer). Grâce à l’assistance du professeur Georges Kemna, Marissiaux a réglé ce dernier problème en mettant au point une lanterne de sûreté qui lui permet d’utiliser son flash à magnésium malgré la présence du grisou.

Désiré Deleuze réalise ses premières photographies à l’aide d’un appareil classique mais l’envie de perfectionnerson art et les contraintes techniques le poussent à élaborer un caisson antidéflagrant répondant aux normes sévères du Code des mines belge. L’utilisation de ce caisson d’une cinquantaine de kilos et du matériel qui l’accompagne rend les prises de vue extrêmement longues (une à deux heures de préparation par prise !).

A Liège, d’autres artistes ont aussi illustré l’industrie houillère. Certains ont utilisé la photographie comme passe-temps en agrémentant leurs déambulations dans le bassin minier, à l’instar du mineur Joseph Maes (actif dans les années 1950-1960).

Des photographes ont aussi suivi la disparition de ces témoins industriels pas à pas, comme Paul Donnay dans les années 1970-1980, fixant pour toujours leurs tout derniers instants.

Des travaux intéressants qui témoignent de l’aspect paysager, immortalisant les traces visibles en surface de ces colosses d’acier et de béton.

Dans notre exposition, Théodore Bellefroid (né en 1940) suit cette lignée. Technicien de profession, il a grandi à Saint-Nicolas dans un milieu rythmé par des charbonnages et des usines sidérurgiques, univers où il côtoie les arrivants des vagues d’immigration massive avec lesquels il fait ses classes et noue ses premières amitiés.

Son immersion dans l’ambiance de ces géants industriels s’est donc faite naturellement.

Dans les années 1970, alors que la dernière salve de fermetures des charbonnages précipite dans l’oubli l’avenir de ces sites les uns après les autres, Théodore Bellefroid se lance dans des reportages photographiques imprimant sur la pellicule de son Yashica les ultimes semaines de l’activité charbonnière wallonne juste avant son extinction.

Son travail est respectueux des hommes qui ont laissé une part d’eux-mêmes sur les sites charbonniers et conserve les atmosphères palpées durant ses excursions.

Lon Persich quant à lui fait partie d’une nouvelle génération d’artistes créant une synthèse entre les différentes attitudes photographiques abordées ci-dessus.

Pour Lon, c’est sa passion d’explorateur urbain qui l’entraîne vers le reportage photographique.

Ses aventures l’ont mené sur des sites industriels désaffectés aussi bien en surface qu’en sous-sol. Il a extrait de ces périples des vues particulièrement saisissantes, livrant aux spectateurs un regard inédit voire fantastique sur ces lieux abandonnés dédaignés.

Vision contemporaine de notre passé, cette démarche moderne démontre qu’au-delà du phénomène de mode dans lequel s’inscrit actuellement l’exploration urbaine, cette nouvelle production s’accroche à ce qui a écrit son histoire et cherche à croire si non en sa résurrection, du moins en l’importance de la conservation de ses racines afin de recréer un monde parallèle en lui adjoignant des effets irréels.

Photographes amateurs ou professionnels, tous ont en commun l’attachement pour les friches industrielles. Ils témoignent d’un intérêt historique (comme les reportages publiés sur le serveur tchorski.morkitu.org ou les sites www.postindustriel.be et www.usines.be), d’une approche esthétique (www.facebook.com/aureliebastinartiste, www.abandoned-places.com ou www.forbidden-places.net) ou tout simplement d’un regard nostalgique sur des territoires qui les ont vu naître, grandir et, parfois, s’amuser, une manière de sauvegarder à leur échelle les archives de nos sociétés.

Dans toutes leurs œuvres, les photographes traduisent les réalités et les aspirations de leurs temps, qu’elles soient témoignages de ce qui est ou qu’elles ouvrent une perspective sur ce qui pourrait être. C’est la gageure de notre nouvelle exposition que nous vous invitons à découvrir tous les jours jusqu’au 31 août 2013, de 13 h 00 à 17 h 00.

 

Bruno Guidolin

Mis à jour (Vendredi, 19 Juillet 2013 17:46)

 

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