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Aujourd'hui - Actualités

Un petit garçon juif caché à Cheratte en 1943-44 retrouve son parrain 66 ans plus tard.

Le 7.5.1931, Willy naît à Liège chez ses parents Léon Friszman et Thérèse Schreiber. Léon est cordonnier. Willy aura une sœur, Sarah. Ils habitent à diverses adresses à Liège.

Pendant la guerre, la famille habite au-dessus de St Gilles Liège.

En 1943, Léon, le papa, part travailler. Il prend habituellement le tram pour se rendre au centre ville, sur une petite place, à quelques centaines de mètres de la maison. Il voit passer une voiture occupée par des allemands et se demande quelle famille va en faire les frais.

Ce sera la sienne !

Heureusement, Sarah, la sœur de Willy n’est pas à la maison. Celui-ci dort encore avec sa mère. Les allemands entrent par la porte et par une fenêtre de la maison. La maman de Willy a juste le temps de le cacher sous le lit qui se trouve contre le mur.

Là, il verra les bottes allemandes passer plusieurs fois devant son nez, mais on ne le découvre pas. La maman se presse de sortir pour ne pas laisser aux allemands le temps de chercher plus avant. Pas besoin d’emporter quoi que ce soit, dit-elle, pour sortir plus vite.

Elle est emmenée à Auschwitz, où elle est détenue dans le commando des expérimentations. Elle en réchappera et reviendra, très affaiblie, après la libération, pesant moins de 40 kg.

 

Willy court chez son père qui travaillait dans une cordonnerie, à l’arrière d’un magasin à Beaufays. Il fait le voyage à pied de St Gilles à Beaufays, seulement aidé, pour une partie de la côte d’Embourg, par un camionneur qui le charge pour une partie du trajet de montée.

Il est caché dans plusieurs endroits. Il trouve refuge chez un charbonnier de St Gilles, mais il n’y reste que quelques jours. L’homme boit beaucoup et Willy en a peur.

Il arrive à Cheratte où il est confié à l’Institut St Dominique, couvent dirigé par les Religieuses des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, ordre originaire de Bretagne. Cet Institut est une école privée qui accueille des petits pensionnaires jusque 12 ans. Ils ne sont pas nombreux pendant la guerre, pas plus, nous indiquent les statistiques du couvent, que 3 enfants (officiellement inscrits)  ; il ne reste d’ailleurs, en 1942, que 7 religieuses pour s’occuper du couvent et de l’école.  C'est-à-dire si les petits internes n’ont pas beaucoup d’enfants de leur âge pour partager leurs jeux, d’autant qu’ils ne peuvent pas sortir de l’Institut.  Ce sont pourtant 3 petits garçons, habitant les deux maisons en face de l’Institut, qui viennent régulièrement jouer avec eux.

Ces trois cousins, Léonard et Jules Van Linthout et Léonard Rikir, font ainsi la connaissance de Willy Friszman. Ils sont aux scouts et aux louveteaux, mais Willy ne pourra pas les y rejoindre.

Willy se souvient d’un jour où les religieuses lui ont demandé d’aller porter un colis de vivres qu’elles avaient préparé pour les prisonniers russes qui travaillaient au charbonnage, situé en face de l’Institut, juste à côté des maisons Rikir et Van Linthout.

Les prisonniers avaient noué leurs ceintures, les unes au bout des autres, pour descendre jusqu’au sol où Willy a pu attacher le colis qui a été remonté jusqu’aux fenêtres grillagées du premier étage du charbonnage.

 

Willy profite de son séjour là-bas pour apprendre à jouer du piano. Il se souvient en particulier d’une religieuse, Sœur Thérèse de Saint Joseph, enseignante, qui était très gentille avec lui. C’est elle qui enseignait le piano aux élèves de l’Institut. Cette sœur était un vrai ange sur terre. Elle était appréciée de tous. Ce n’était pas  le cas de la Supérieure, Sœur Marguerite, plutôt sévère et intraitable.

 

Les autres sœurs présentes pendant la guerre sont Sœur Saint Michel qui travaillait à la cuisine, Sœur Marie Rosalie qui travaillait à la buanderie, Sœur Joseph Marie, enseignante à l’école gardienne du village,  qui boitait à cause d’une jambe raide, mais qui adorait jouer et chanter avec les enfants, et Sœur Stanislas Marie qui était très forte, travaillait à la cuisine et avait un gros nez. Deux autres sœurs enseignantes restent aussi pendant la guerre, pour l’école du village. Ce sont Sœur Jeanne Françoise et Sœur Louise de Jésus.

Sœur Stanislas Marie, née à Champeaux en Bretagne le 6.8.1882, est la fille de Jean Marie Fougère et de Sainte Jamier. Elle est arrivée à l’Institut en 1902 et décède à l’Institut le 18.9.1948 et est enterrée à Cheratte.

Sœur Joseph Marie, née à St Benoit les Ondes en Bretagne le 7.11.1878, de son nom Marie Joseph Françoise Pouhard, est arrivée à l’Institut en 1902, a obtenu son diplôme d’institutrice gardienne en 1903. Elle est la fille de François Pouhard et de Maria Daniel. Elle est naturalisée belge en 1910. Elle décède à Cheratte le 4.7.1949 et est enterrée à Cheratte.

Sœur Thérèse de Saint Joseph, de son nom Dorothée Mertens, flamande ou hollandaise, est enseignante; elle est restée à Cheratte de 1930 à 1939, puis pendant une période de la guerre.

Sœur Saint Michel, de son nom Anna Leborgne, reste à Cheratte de 1930 à 1952.

Sœur Marie Rosalie, de son nom Angèle Saulnier, reste à Cheratte de 1931 à 1956.

Sœur Jeanne Françoise, de son nom Valentine Horion, est née à Cerexhe Heuseux le 13.11.1905. Elle habite Cheratte haut. Institutrice laïque à l’école du village en 1926 jusqu’en 1932, elle décide d’entrer en religion en 1932, fait sa formation jusqu’en 1934, puis revient comme enseignante de 3e et 4e année en 1934. Elle devient chef d’école de 1949 à 1955. Elle part ensuite à Bruxelles rue Masuy, puis à la maison mère de Paramé où elle décède. Elle y est enterrée.

Sœur Louise de Jésus, enseignante de 1ere et 2e année, est venue à Cheratte en 1902. Elle y reste toute sa carrière, devient chef d’école, puis est admise à la pension en 1949 mais reste à l’Institut jusqu’en 1954.

 

La Kommandantur s’installant dans les locaux de l’Institut, et le corps de garde avec les soldats allemands dans les locaux de l’école ménagère située dans la cour de l’Institut, il est probable que Willy a dû quitter cet abri, où son père venait le visiter régulièrement, pour un autre endroit plus sécurisé. Cordonnier de son métier, il connaissait peut-être un autre cordonnier qui avait repris une maison d’accueil à Comblain la Tour, Monsieur Gillis. C’est peut-être aussi plus simplement des contacts entre réseaux de résistants qui le poussèrent à être déplacé à cet endroit ? Ce village comptait trois maisons de « vacances » pour des enfants des villes à la santé fragile. Ils venaient passer un ou deux stages de trois mois, pour se refaire une santé au bon air des Ardennes. Ou mieux cacher un enfant que dans une endroit fort fréquenté par d’autres enfants ?

 

Willy arrive donc à Comblain la Tour, dans une de ces trois maisons, celle dont Mr et Me Gillis ont la responsabilité. Les Gillis ne sont pas originaires de Comblain la Tour et quitteront ce village après la guerre.

Rosine Meyer
Monsieur Gillis et son épouse Rosine Meyer gèrent, comme directeurs, le home. Il y a le home de l’Aide paysanne aux enfants d’exil, dans lequel la famille Gillis habite, près de la Place du Wez. Il y a un deuxième home qui accueille régulièrement des enfants de Herstal et Liège, qui deviendra plus tard le home des Polonais, et enfin une troisième maison, qui servira de Poste, puis sera rachetée par l’Hôtel Saint Roch pour en faire un gîte accueillant les touristes, ce qu’il est encore actuellement.

Monsieur Kerzman, habitant Comblain la Tour, se souvient d’avoir séjourné dans deux des trois maisons, après la fin de la guerre. Il n’a pu y rester que trois mois, ce qui était l’habitude dans ces colonies de vacances où l’on se refaisait une santé.

 Rosine Meyer

Willy y passera deux fois trois mois, dans la maison au bord de l’Ourthe, où il se souvient qu’il allait pêcher avec la fille des Gillis, Louise. Celle-ci allait à l’école, en train, à l’école des sœurs à Barvaux.Louise Gillis

Celle-ci a épousé un Monsieur Claude Bajot. Ils étaient installé à Middelkerke, à la côte belge, Duinenweg 171 bungalow 12 où ils vivaient encore à la mi-2009.  Ils ne sont pas repris au registre de population de Middelkerke, parce que la commune côtière,n’inscrit pas sur ses registres les personnes qui y séjournent en seconde résidence. Leur téléphone fixe n’est plus attribué. Leurs deux GSM ne répondent plus. Vivent-ils encore ou sont-ils en maison de repos, je n’ai pas trouvé de réponse actuellement.

Madame Josette Martin-Gheur de Comblain la Tour, amie de Louise Gillis, m’a laissé photographier une photo de Louise Gillis et de sa maman, Rosine Meyer. Elle a perdu le contact avec Louise depuis la mi-2009. Elle a pu nous fournir l’adresse du couple Bajot-Gillis à Middelkerke.

Louise Gillis

Madame Gheur se souvient de quelques personnes qui travaillaient dans ces homes : Mademoiselle Henriette Vouw, décédée le 26.1.1986 ; Mesdemoiselles Renée et Marguerite Bédeur. Etaient-elles institutrices, monitrices ou exerçaient-elles un autre travail, nous n’avons pas de détail plus précis. Madame Gheur, qui habitait rue des Ecoles avec ses parents qui y tenaient un petit magasin général, se souvient aussi d’avoir entendu passer plusieurs fois les enfants dans le village, en promenade deux par deux. Ils chantaient tout le temps.

Les enfants n’allaient pas à l’école du village, ils avaient leurs propres enseignants.

Madame Marguerite Hubert, ancienne institutrice de Comblain la Tour, se souvient qu’elle a travaillé pendant la guerre à la maison communale. Ces enfants des homes n’étaient pas repris sur les registres communaux, les habitants gardaient le secret sur eux, c’est comme s’ils n’avaient jamais existé. Aucun n’a été inquiété par les allemands. Madame Hubert a pris sa pension en 1976 et a atteint l’âge de 90 ans. Ses renseignements et sa fidèle mémoire ont permis de retrouver ces détails sur le séjour de Willy à Comblain la Tour. C’est aussi elle qui a relié les différents fils qui ont permis de rassembler ces informations. Merci à toutes ces bonnes volontés, pour qui ces épisodes de la vie de Comblain la Tour restent gravés dans leur cœur et leur mémoire.

 

Pendant ces six mois passés à Comblain la Tour, Willy a demandé à recevoir le baptême catholique. Il l’a reçu le 15.3.1944, comme en témoigne son extrait de baptême conservé dans les registres de l’église de Comblain la Tour. Merci à l’abbé Schmetz d’avoir effectué les recherches et de m’en avoir communiqué une copie le 15.1.2010. On peut y voir que le 15.3.1944  a été baptisé à l’église de Comblain la Tour Willy Charles Friszman, né le 7.5.1931, fils de Léon et de Thérèse Schreiber. Son parrain est Léonard Van Linthout et sa marraine Rosine Meyer épouse Gillis.

Willy nous dit qu’il a fait sa première communion et son baptême le matin et sa grande communion l’après midi. D’après Madame Hubert, les grandes communions se faisaient au mois de mai.  D’après elle toujours, le curé de l’époque devait être l’abbé Peisser : l’acte de baptême porte le nom de l’abbé Joseph Defossez, curé.

Le parrain, Léonard Van Linthout, de Cheratte, était en pension dans une école dans les Ardennes et avait obtenu l’autorisation de faire le voyage jusqu’à Comblain la Tour pour être le parrain de Willy.

Nous avons visité l’église du village ce mercredi 24 mars 2010, grâce à l’amabilité du prêtre desservant actuel, l’abbé Alexis Smets. L’intérieur de l’église a été complètement transformé (suppression des colonnes, plafond surbaissé en bois), mais nous avons pu encore retrouver les fonds baptismaux qui ont servis au baptême de Willy Charles Friszman.

 

Après les deux périodes de trois mois, Willy revient à Cheratte, dans la famille Van Linthout, présenté comme un petit cousin de la famille de la maman. Il vit avec la famille, fréquentant sans doute la vie du village.

En octobre 1944, à la libération, Léonard se souvient qu’il était en train de se laver quand les américains sont arrivés. Il a enfilé un peignoir sur lui et est sorti les regarder passer. Willy se souvient qu’il se lavait les pieds à ce moment et qu’il est, lui-aussi sorti pour les regarder.

Il a ensuite demandé à Madame Van Linthout s’il pouvait aller voir son père à Coronmeuse, quartier entre Herstal et Liège, ce qui lui a été accordé.

Willy a retrouvé son père et est resté avec lui à Liège, dans le quartier de Sainte Marguerite.  Il est parti, début des années 1950, pour trouver du travail à Bruxelles, en a trouvé et s’y est installé. Il y réside encore aujourd’hui, à Sint Pietersleeuw.

Il n’a plus donné signe de vie depuis.

Léonard Van Linthout, aidé par son fils Georges, l’a recherché bien longtemps, sans pouvoir savoir s’il était toujours en vie.

 

Willy a essayé de reprendre contact avec Cheratte, se souvenant de son passage à l’Institut des Sœurs.  Après plusieurs essais, il a pu trouver quelqu’un, Mr Lensen responsable du Musée de Visé, qui a pu l’orienter vers moi. J’ai eu beaucoup de joie et de plaisir à l’aider à remonter le fil de ses années et à retrouver son parrain, Léonard Van Linthout,  qu’il a pu rencontrer, ainsi que Léonard Rikir, ce lundi 25 janvier 2010. Quelles émotions ont pu traverser ces esprits et ces cœurs, c’est la récompense d’un travail de recherche qui se poursuit encore aujourd’hui, pour essayer de reconstruire ce passé difficile et douloureux d’un homme qui recherche sa vie et son passé de petit garçon.

 

Willy Friszman, Léonard Rikir et Léonard Van Linthout

Willy Friszman, Léonard Rikir et Léonard Van Linthout

Mis à jour (Vendredi, 26 Mars 2010 09:54)